Le P. Desbois interviewé par Gurfinkiel

Publié le par MIGUEL GARROTE

Chargé des relations avec le judaïsme au sein de l’Eglise de France, mais aussi historien de la Shoah, le père Patrick Desbois accompagnera le pape au cours de sa visite officielle. Il répond à nos questions.

  

PAR Michel Gurfinkiel, rédacteur spécialisé de drzz.info 

  
 
MG. Dans quel contexte se situe la visite du pape Benoît XVI en Israël ?


PERE PATRICK DESBOIS. Un contexte difficile. Cette visite fait l’objet, en ce moment, d’une  campagne d’opinion virulente, dirigée à la fois contre le pape et contre l’Etat juif. On la présente – en gros – comme un compromis entre deux « affreux » : Benoît XVI, le pontife « réactionnaire », et un Israël coupable à la fois d’avoir mené des opérations militaires à Gaza en janvier et de s’être donné en février, avec Benjamin Netanyahu et Avigdor Liebermann, un gouvernement d’ « extrême-droite ». Selon ce schéma, le pape irait en Israël pour se faire pardonner l’affaire Williamson. Et les Israéliens mettraient en scène sa venue pour se faire pardonner leur comportement envers les Palestiniens.

MG. Qui mène cette campagne ?

DESBOIS. Beaucoup de milieux à la fois, à partir de motivations parfois très différentes. Le fait est, malheureusement, que cette thématique est « porteuse », qu’elle marche, et qu’elle tend à s’imposer dans les médias écrits ou audiovisuels. Quand on s’en prend au pape seul, ou à Israël seul, le résultat n’est pas toujours probant. Mais quand on s’en prend aux deux à la fois, c’est très différent. Noircir le pape permet alors de noircir Israël sans vergogne, et inversement.

MG. Comment désamorcer cette campagne ?

DESBOIS. En lui opposant la vérité. En rappelant, par exemple, que cette visite n’a rien d’improvisé ou de conjoncturel, mais s’inscrit, au contraire, dans la longue durée. Au niveau des Etats, d’abord. Le Saint-Siège et Israël entretiennent des relations diplomatiques depuis plus de quinze ans : Benoît XVI ne s’est pas « invité » mais a répondu à une proposition du président israélien, en l’occurrence Shimon Peres, qui lui-même avait été reçu à Rome ès-qualités. Au niveau religieux ensuite. Israël, ce n’est pas n’importe quel pays, mais la Terre sainte. Et le peuple juif n’est pas n’importe quel peuple, mais le « frère aîné » des chrétiens. Cela implique, là encore, une préparation minutieuse.

MG. Ce sera la troisième visite d’un pape en Israël ?

DESBOIS. Cela peut paraître étrange, rétrospectivement, mais aucun pape ne s’était rendu en Terre sainte pendant près de deux mille ans, jusqu’à la fin du XXe siècle. Les papes ne voyageaient pratiquement pas. Et la Terre sainte se situait, exception faite des Croisades, en dehors de l’espace géopolitique catholique : elle avait été  contrôlée successivement par le monde byzantin puis par l’islam. Le pélerinage de Paul VI, en 1964, dans une Terre sainte coupée en deux, Israël et Jordanie, a constitué une révolution. Avec la visite de Jean Paul II, en 2000, un nouveau souffle s’est mis en place. L’itinéraire de Benoît XVI suit de près celui de son prédécesseur.

MG. Avec quelques différences, tout de même ?

DESBOIS. Sans doute. Benoît XVI doit effectuer une visite plus approfondie à Yad Vashem, le Mémorial national israélien de la Shoah : c’est là son souhait personnel. Il  aura également des conversations détaillées  avec les grands rabbins d’Israël, alors que Jean Paul II n'avait effectué qu'une brève rencontre. Ce n’est pas que le pape précédent n’attachait pas d’importance à de tels contacts. Mais le dialogue entre l’Eglise et le judaïsme orthodoxe ne faisait alors que commencer. Aujourd’hui, il s’est considérablement développé.

MG. Le monde juif ne comprend pas toujours les positions personnelles de Benoît XVI. Elles lui paraissent plus ambiguës, sur diverses questions, que celles de Jean Paul II.

DESBOIS. Les relations entre l’Eglise et le peuple juif ont été totalement repensées depuis le concile de Vatican II, dans les années 1960 :  non seulement pour mettre fin aux dérives antisémites, mais aussi pour rappeler que le judaïsme restait, pour les chrétiens, une source vivante. Chacun sait à quel point Jean Paul II a insisté sur ces thèmes tout au long de son pontificat. Ce que l’on sait moins bien, c’est que le cardinal Ratzinger – l’actuel Benoît XVI – a joué un rôle essentiel auprès de lui dans cette reformulation, en tant que théologien.

MG. Mais le pape actuel a semblé cautionner des courants catholiques qui n’avaient jamais accepté Vatican II ?

DESBOIS. Benoît XVI a pris des mesures pour résorber un mouvement schismatique au sein de l’Eglise. Mais en dernière analyse, tous les catholiques doivent accepter la doctrine issue du concile, dont le pape actuel a été, à titre personnel, l’un des principaux rédacteurs. Notamment sur le judaïsme.

MG. Qu’en est-il des relations entre l’Eglise et l’Etat en Israël ? On a mentionné à plusieurs reprises des difficultés, voire même une crise ?

DESBOIS. Il y a quelques litiges réels, comme il peut y avoir dans n’importe quel pays, même catholique. Il y a aussi des litiges quasiment imaginaires, délibérément gonflés par certains milieux à des fins polémiques. On a affirmé, par exemple, que de nouvelles dispositions fiscales israéliennes portaient préjudice aux communautés chrétiennes. Cela a été repris un peu partout. Mais en définitive, après enquête, ces dispositions n’existaient pas, ou n’avaient pas le caractère qu’on leur attribuait.

MG. La visite du pape aura également un versant arabe ? Dans un souci d’équilibre ?

DESBOIS. Benoît XVI se rendra en effet dans les Territoires palestiniens et en Jordanie. Avant toute chose, c’est pour y rencontrer les communautés chrétiennes locales. Vous savez que ces dernières ont fortement diminué dans les Territoires depuis les accords d’Oslo de 1993 : les chrétiens ne forment plus que 1,9 % de la population contre 10 % naguère. Le pape ne pouvait pas ne pas leur apporter son soutien et son réconfort. En Jordanie, il passera trois jours, ce qui constitue une nouveauté. Là encore, il rencontrera des chrétiens, notamment des tribus bédouines chrétiennes, les dernières du genre au Moyen-Orient. Mgr Fouad Twal, le patriarche latin de Jérusalem, est issu de cette communauté. Un élément qui a sans doute son importance.


© Michel Gurfinkiel & Hamodia, 2009

Publié dans ACTUALITE

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